« Les Bretons sont doués pour l’action. Il faut rechercher leurs caractères dans leur Histoire, dans leurs monuments. Ils ont une langue : ils ont un caractère national, une personnalité franche, tenace, qui a horreur du joug et de l’oppression …. La Bretagne a eu son Parlement jusqu’en 1789. Ses affaires étaient discutées par ses représentants. Ce n’est pas une province, c’est une nation avec sa poésie, ses mœurs, ses traditions. » ainsi parlait Marcel Cachin, natif de Paimpol (1869-1958).
Voir présentation dans Ouest France : https://www.ouest-france.fr/bretagne/quimper-29000/bretagne-qui-etait-le-communiste-marcel-cachin-breton-emancipe-a1739b00-624f-11ec-8679-ab0fdb9344df
Le journaliste Georges Cadiou a compulsé les archives de L’Humanité, mais aussi de War Sao (Debout) « journal des Bretons émancipés » de la région parisienne, pour écrire une biographie politique de Marcel Cachin.
Pourquoi écrire cette biographie de Marcel Cachin (1869-1958), né à Paimpol ?
Il n’y avait pas de biographie de Cachin. C’est une très longue vie militante, d’abord avec la SFIO, puis avec le Parti communiste français (PCF) dont il est un des créateurs au Congrès de Tours, en décembre 1920. Marcel Cachin est aussi celui qui a créé l’Association des Bretons émancipés de la région parisienne, en 1931, dont je fus secrétaire général à la fin des années 1970. Elle avait changé de nom, devenue l’Union des sociétés bretonnes de l’Ile-de-France, mais c’était la même association qu’en 1931…
Quelles archives avez-vous fait parler pour retracer le militant, le député et sénateur, qui fut directeur du journal L’Humanité dès 1918 ?
Au siège parisien de l’association, à Montparnasse, nous avions les archives du journal War Sao, journal « des Bretons émancipés » qui est paru dans les années 1930. J’étais à l’époque membre du Parti communiste. Je ne le suis plus depuis 40 ans. Je travaillais à Miroir Sprint, un hebdo sportif qui appartenait au PCF. J’étais intéressé par Cachin. Je savais qu’il était né à Paimpol, qu’il était bretonnant… D’ailleurs, il mâtinait ses discours de phrases en breton. Quand on est né à Paimpol en 1869, ça n’étonnera personne.
Donc, vous vous plongez dans ces journaux…
J’ai repris ce qu’il a écrit dans L’Humanité où il a été journaliste dès 1912, puis directeur en 1918. Il y a des tonnes et des tonnes d’articles sur Cachin, ou écrit par Cachin. J’ai aussi utilisé les carnets de Cachin qui ont été publiés dans les années 1990 par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Il faisait tous les jours un petit résumé de sa journée, notait ses réflexions politiques, philosophiques. C’est une mine. J’ai visionné des archives de films du PCF. On voit que c’était un orateur assez extraordinaire. Et puis, j’ai lu Ouest-Eclair et La Dépêche de Brest où il est aussi question de Cachin.
Il y a des périodes historiques très différentes. Par exemple, dans l’entre-deux-guerres, il rencontre des militants autonomistes bretons, tels Yann Sohier ( le père de Mona Ozouf) qui avait fondé le groupe Ar Falz ( La Faucille), ou Yann Fouéré, classé bien plus à droite sur l’échiquier politique ? C’est complexe ?
Le mouvement breton à l’époque était déjà un petit milieu : ils se connaissaient tous, même s’ils se chamaillaient ou s’affrontaient. Quand en 1935 Yann Fouéré vient voir Cachin, il arrive au nom d’Ar brezoneg er skol, la pétition pour le breton à l’école publique. Il voulait que les élus communistes y participent. Il vient voir Cachin car il sait qu’il est imprégné de cette question linguistique bretonne. En 1947 d’ailleurs, le communiste essayera de faire passer un projet sur l’enseignement de la langue.
Mais ici, on est avant-guerre. Sohier meurt en 1935. Cachin rencontre l’abbé Perrot à l’enterrement de Sohier. (NDLR : L’abbé Perrot, prêtre engagé auprès des nationalistes bretons dont certains collaborèrent, assassiné par un militant communiste en décembre 1943). La guerre a fracassé beaucoup de choses, avec les dérives des uns et des autres, et le stalinisme de plus en plus prégnant. Certes, Cachin a été antifasciste et anticolonialiste, mais il a soutenu Staline dans les procès de Moscou.
Donc, avant guerre, tout le monde se parle ?
Avant guerre, il n’y a pas eu de grand schisme, pas avant qu’en 1938 le PNB le Parti national breton devienne un parti facho. Il ne l’est pas au départ.
Un autre exemple : il y a deux personnes qui ont aidé Cachin pour améliorer son breton lors de ses prises de paroles : Fañch Elies (NDLR : dit Abeozen, qui avait des sympathies pour les Rouges, mais travaillera avec Roparz Hémon durant la guerre), et Youenn Drezen. Ces deux écrivains, ont été proches de Cachin avant guerre. Mais, ils seront accusés de collaboration. La grande césure, c’est peut-être l’histoire des Sudètes en 1938, où Fouéré et sa revue prennent position au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour l’Allemagne nazie. Là, il y a une fracture qu’on peut lire dans War Sao.
Vous avez employé le mot « staliniste ». Cela veut-il dire que pour Marcel Cachin, la ligne du parti justifiait tout ?
Je pense que Cachin est très bien dans les périodes d’unité du Front populaire en 1936 ou à la Libération. Et très mal à l’aise dans les périodes de glaciation et de stalinisme exacerbé du Parti. On sent dans ses carnets que Staline n’est pas sa tasse de thé. Lénine non plus d’ailleurs. Il a rencontré Lénine en 1920. C’est une entrevue glaciale contrairement à ce que le PCF a raconté ensuite. Notre Cachin qui avait fait le choix de la révolution en 1920, pensant qu’elle était proche, est resté fidèle à ce choix contre vents et marées. C’est une des raisons pour lesquelles, à la fin, il devient une icône du PCF. On disait le « Père Cachin ». Lui-même n’était pas dupe quand il disait en 1950 : « Je suis membre du bureau politique, mais c’est à titre honorifique. » Il est devenu une image utilisée par la direction du parti.
Un parti autoritaire ?
Ce parti était extrêmement dirigiste et autoritaire. Marcel Cachin est une personnalité complexe. À la fin du livre, je cite Philippe Robrieux, qui a écrit une histoire du PCF. Il pose la question suivante : comment un tel homme, cultivé, prof de philo, chaleureux, a-t-il pu devenir un stalinien ? C’est l’un des grands mystères de ce siècle d’espoirs et de tragédies.
Le pacte germano-soviétique a mis les militants communistes dans une position intenable pour certains. Qu’en était-il pour Marcel Cachin ?
Il reste fidèle à son parti dans la tempête ! Pierre Guéguin, le maire communiste de Concarneau a quitté le PCF à ce moment-là. C’est très déstabilisant pour les militants. Cachin était copain avec Pierre Guéguin qui avait été membre des Bretons émancipés de Paris avant de revenir enseigner en Bretagne. Pierre Guéguin a dénoncé le pacte germano-soviétique, ce qui lui a valu la haine des staliniens de Concarneau. C’est terrible à dire, mais l’attaque allemande contre l’URSS le 22 juin 1941 a été un soulagement pour certains. Parce que le combat contre le fascisme reprenait ses droits. Mais, ces longs mois, le temps du pacte, ont été plus qu’une dérive. Le PCF a été proche du gouffre… Puis, il y a eu Stalingrad…À la Libération, quand il y a dix députés en Finistère, il y en a trois qui sont communistes. Le PCF faisait 31 % des voix dans les Côtes-du-Nord.
Quand on se réfère à cette histoire de l’entre-deux-guerres, peut-on dire qu’il a existé un Parti communiste breton, ou est-ce un Parti communiste français ?
Non, c’est un Parti communiste français. Cachin, au fond du trou, en 1939, après le pacte germano soviétique, s’est réfugié près de Paimpol. Son moral est très bas. C’est alors, comme souvent, qu’il se réfugie dans l’histoire de la Bretagne. C’est ce moment-là qu’il parle de « nation bretonne ». Il écrit : « Ce n’est pas une province, c’est une nation ». Parce qu’il sait que la Bretagne est davantage qu’une région. Il parlait de sa petite patrie et de sa grande patrie. Mais, je ne vais pas faire de Cachin un militant nationaliste breton. D’ailleurs, il n’emploiera jamais publiquement l’expression « nation bretonne ».