Tribune dans l’Humanité du 3 juin 2011, par Jacques Blin, Pierre Boutan, Marie-Jeanne Verny, animateurs du Réseau langues et cultures de France.
L’annonce de l’arrêt des recrutements pour les concours 2012 dans les différentes langues « régionales » de France, après une réduction de 60 en 2002 à 15 en 2011, suscite l’indignation. Certes, on ne peut s’étonner de voir, dans ce domaine, les mêmes effets qu’ailleurs de réduction des moyens publics dans l’enseignement et la culture. Mais avec le cynisme en plus, puisque, dans le même temps, le ministre déclare à une députée : « La préservation et la transmission de cet élément du patrimoine culturel et linguistique de la nation que représentent les langues et cultures régionales (…) sont l’objet de toute l’attention des services du ministère de l’Éducation nationale qui, au travers de leurs actions, s’emploient à améliorer les conditions de l’enseignement et de la diffusion de ces langues. »
Trop longtemps considérées comme étant potentiellement adversaires de la langue nationale et donc de l’unité de la République, les langues de France ne devraient plus apparaître aujourd’hui que comme ce qu’elles sont : partie prenante du patrimoine national, européen et mondial, qu’il convient de faire vivre et de promouvoir, sans conflit fantasmatique avec la langue nationale. Car elles sont aujourd’hui particulièrement menacées, si l’on ne crée pas les conditions qui leur permettent d’exister, à la fois bien sûr dans l’espace privé, mais aussi dans l’espace public. Toutes les enquêtes montrent en effet, même si c’est à titre variable selon les aires linguistiques, qu’il y a contradiction entre l’état de transmission et d’usage de ces langues, de plus en plus détérioré, et un sentiment positif à leur égard. Dans la situation d’aujourd’hui, malgré tant de dénigrements à l’égard des « patois », toutes les enquêtes d’opinion (par exemple l’enquête du CSA de juin 2008 : 68 % sont favorables à l’inscription dans le texte de la Constitution, et plus à gauche qu’à droite) montrent que les Français marquent un attachement renouvelé à ces éléments vivants de leur patrimoine. Il devient désormais urgent de créer les conditions d’obligation pour les pouvoirs publics de répondre aux demandes des populations concernées.
La France, pays multilingue, un des plus riches d’Europe, a une langue nationale commune qui ne saurait se confondre avec une langue unique. Alors que l’idéologie dominante (républicaine et bourgeoise) a cherché à décrire les pratiques linguistiques populaires comme inférieures, passéistes et méprisables, le mouvement progressiste a résisté avec Jaurès, ou plus tard des communistes comme Marcel Cachin, Aragon, les instituteurs Yann Sohier ou Félix Castan, et, entre autres, le projet de loi Hermier de 1988.
De ce point de vue, la loi Deixonne de 1951 est à l’évidence devenue très insuffisante : d’une part parce qu’elle ne concerne que l’enseignement, laissant de côté l’ensemble du domaine culturel et médiatique, d’autre part parce qu’elle ne tient pas compte des changements intervenus depuis (en particulier le nouvel article 75-1 de la Constitution : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ») et des nouvelles données européennes. La comparaison avec les pays voisins pour les langues transfrontalières (basque, catalan et occitan avec l’Espagne, occitan avec l’Italie, langue mosellane avec le Luxembourg par exemple) est d’ailleurs désastreuse dans tous les cas pour la situation française.
Cette nouvelle loi ne saurait être discutée à la va-vite, sans qu’y soit garantie la responsabilité essentielle du service public et de l’État républicain. On peut se reporter, pour les nécessaires précisions et mises en débat, à la tribune : http://culture.pcf.fr/9683