Notre chère patrie républicaine a de nombreux mérites, et cela est dit sans ironie. Outre la Grande Histoire, nous saluons dans ce texte les progrès réalisés en termes de reconnaissance et d’accompagnement des langues dites régionales et/ou minoritaires ces dernières années sur le territoire métropolitain.
Mais ici nous souhaitons aborder un cas particulier et relativement méconnu, car éloigné de la métropole, la Guyane. En particulier l’ouest guyanais, le long du Maroni.
C’est en enseignant dans un collège de cette région que j’ai pu me rendre compte de la vitalité quotidienne de la langue locale, appelée Ndjuka ou Boushinengué Tongo. En effet, c’est la langue utilisée naturellement par tout un chacun dans la vie quotidienne.
Sur le terrain de l’école, il s’agit d’une zone de scolarisation dite FLS : Français Langue de Scolarisation. C’est le français qui est une langue étrangère, et c’est par là que le bât blesse. Rien n’est fait pour assurer la moindre transition entre la langue locale et la langue nationale française, au détriment des études des plus petits aux plus grands.
Le boushinengué tongo n’est pas reconnu comme langue… car des experts – en baragouinent-ils quelques mots ?– nous affirment que « les variantes dialectales étant trop importantes d’une commune à une autre, cela complexifie bien trop la mise en grammaire de ces différents dialectes. » Bref, du déjà entendu sous d’autres latitudes…
Une langue est reconnue comme telle au sein de notre république uniquement quand elle est minoritaire ou en voie d’extinction. Ce n’est pas le cas pour la langue boushinengué. Pourtant, des grammairiens locaux fournissent un travail remarquable qui mérite l’attention et le soutien du réseau Langues et Cultures de France, par exemple les travaux de Mme Francine Guadil, enseignante et grammairienne de Saint-Laurent du Maroni.
Il faut cependant noter le travail remarquable et trop peu reconnu effectué par les ILM (Intervenants en Langue Maternelle), dont le nombre et les moyens sont dérisoires par rapports aux besoins criants.
De nombreux enseignants dont je fais partie arrivent de métropole tels des missionnaires sans soutane ni goupillon… et sans la moindre connaissance de la langue boushinengue. Le Rectorat n’a pour l’instant pas donné suite aux nombreuses demandes de formations en langue locale, pourtant réitérées chaque année par de nombreux enseignants. On apprend sur le tas, au risque de grossières erreurs !
L’enseignement des fondamentaux au 1er degré est, osons le dire, catastrophique. On enseigne aux enfants directement en français, généralement sans aucune transition ni comparaison avec leur langue maternelle.
Ceci crée des confusions et des incompréhensions béantes dès le plus jeune âge, et accroît les lacunes en termes de compréhension de la langue française de façon inacceptable par la suite. Ces jeunes partent avec un handicap énorme dans leur scolarité, très souvent écourtée.
Enseignant moi-même dans un collège des bords du Maroni, je ne peux que constater la présence de plusieurs élèves non lecteurs dans chaque niveau de classe : 6e, 5e, 4e, 3e… La plupart de mes élèves sont déchiffreurs, et je ne puis affirmer avec certitude avoir ne serait-ce qu’un élève maîtrisant le français à un niveau suffisant à son entrée au lycée… Par « niveau suffisant », j’entends le fait de lire de façon fluide en comprenant l’essentiel du vocabulaire courant. Les résultats aux examens sont catastrophiques : 30-40% de réussite au brevet, 25-30% de réussite au baccalauréat. Les formations professionnelles sont également défectueuses.
La Guyane, en particulier l’ouest, est un pays malade, malade de la non-prise en compte des réalités culturelles de base, à commencer évidemment par les langues, et la situation ne fait qu’empirer. Quel avenir pour notre jeunesse ? Un rien peut mettre le feu aux poudres, et ce ne serait pas étonnant.
François Crec’hriou
NDLR : l’auteur de cet article se présente ainsi : Je suis enseignant, j’ai enseigné deux ans l’histoire-géographie dans un collège de l’ouest de la Guyane, le long du Maroni. Dans cette région, le bilinguisme est une réalité permanente. Mais la compréhension du français est difficile pour bon nombre d’élèves, en bref, la transition s’opère mal entre la langue maternelle et la langue nationale. Ceci entraîne de grandes difficultés en termes de compréhension du français, à l’oral comme à l’écrit, et nuit de façon dramatique sur la scolarité de bon nombre d’élèves. Je suis convaincu qu’il faut partir de la langue maternelle pour expliquer les rudiments de la langue française, ce qui se fait actuellement très mal. Des remèdes simples mais efficaces seraient pourtant tout à fait envisageables. Le plurilinguisme est une richesse et non un handicap, à condition « d’armer » intellectuellement élèves et enseignants