22-10-18- « L’Affaire Gaurel » / Mélenchon ou : les questions d’accent, c’est grave, et parfois ça devient aigu.

Libre expression – Par Philippe Martel, historien

 Quelle histoire ! Une question de journaliste, une non-réponse d’homme politique en situation délicate, un morceau de vidéo judicieusement divulgué (voir : /www.sudouest.fr/2018/10/17/jean-luc-melenchon-meprise-une-journaliste-et-se-moque-de-son-accent-du-sud-5488596-710.php) et la toile, puis les médias, s’enflamment, selon l’expression consacrée. Voici donc une journaliste (accessoirement) d’origine toulousaine nommée Gaurel, face à Jean-Luc Mélenchon. On note effectivement sur la vidéo qu’elle a une pointe d’accent, sans plus. On note surtout qu’elle pose une question que l’on pourrait résumer par la formule, elle aussi consacrée, du deux poids deux mesures. La réponse, brève et violente de M. Mélenchon pose, me semble-t-il – mais ce que je vais en dire n’engage bien entendu que moi, deux problèmes tous deux de nature politique, mais distincts.

 Il y a une première dimension, qui n’est pas nouvelle dans la pratique de la France Insoumise en général et de J.L. Mélenchon en particulier : la dénonciation volontiers violente des médias, considérés comme aux ordres de l’Ennemi, et à qui il ne faut rien concéder, à qui il ne faut rien dire, car ils en feront fatalement mauvais usage. C’est essentiellement une posture plus qu’une vraie stratégie (ou un pur signe de paranoïa), puisqu’il arrive que le rapport de FI aux médias soit plus serein malgré tout. On pourrait du coup discuter l’opportunité de se montrer agressif, au lieu de répondre fermement aux questions posées, si biaisées qu’elles puissent être parfois selon qui les pose, en expliquant avec des arguments construits les positions qu’on défend. La posture adoptée par M. Mélenchon, du point de vue de cet art de la communication si important compte tenu du rôle central des médias dans les débats d’aujourd’hui, risque d’être peu productive. Quel meilleur moyen de braquer les faiseurs d’opinion que de les envoyer paître, leur fournissant du même coup motif à s’indigner, et, à l’occasion, prétexte à remplacer opportunément toute analyse rationnelle des positions de FI par l’expression éloquente de leur indignation ? On voit bien le résultat : les journalistes de la radio publique, curieusement peu satisfaits de s’entendre traiter d’abrutis, portent plainte, et auparavant, le SNJ avait déjà condamné la réaction de M. Mélenchon face à Mme Gaurel. On note au passage que si son communiqué dénonçait, solidarité corporative oblige, l’attaque contre une consœur, la question de l’accent n’inspirait pas vraiment au syndicat quelque analyse que ce soit, comme si les modalités de l’attaque nécessitaient moins de réflexion que le fait brut de l’attaque elle-même. C’est passer un peu vite sur les implications idéologiques de l’incident, implications qui vont largement au delà de l’anecdotique.

 Ce qui m’amène à ma seconde réflexion. Parmi les réactions suscitées par le comportement de M. Mélenchon, relayées par les médias ou cantonnées aux seuls réseaux sociaux, on en trouve qui expriment l’indignation (parfois bruyante et peu étayée d’arguments autres que la dénonciation machinale du « jacobinisme parisien ») des défenseurs de l’accent « méridional ». Mais en face on en trouve aussi qui minimisent la portée de l’incident, en le ramenant au registre inoffensif de la plaisanterie banale sur l’accent des uns et des autres, comme si cela ne relevait que de la connivence des blagues bon enfant que l’on se fait entre gens qui se connaissent et s’aiment bien, au fond. Et on laisse charitablement de côté ceux qui en rajoutent sur le thème de l’accent chantant et ensoleillé de ce Midi si sympathique en temps de vacances. Pour les défenseurs de ce point de vue, il serait donc parfaitement innocent de se moquer de l’accent du sud (ou de tout autre accent provincial). Gageons que les mêmes, on l’espère du moins, hésiteraient à reprendre les fines plaisanteries sur l’accent yiddish ou sur les accents maghrébin ou subsaharien telles qu’on les appréciait, entre humoristes, au bon vieux temps des colonies. Car, nous expliqueraient les descendants actuels de ces humoristes particuliers, ça n’a rien à voir puisque pour les accents « provinciaux » ça se passe en famille, entre citoyens libres et égaux de Notre République Une et Indivisible. Faire le rapprochement relèverait donc de l’exagération (typiquement méridionale elle aussi comme on sait ?), voire de l’attaque perfide contre la ligne juste défendue par M. Mélenchon : bref, restons sérieux et apprécions de bonne grâce sa bonne blague, sans faire tant d’histoires.

C’est ça, oui… Le point ultime de la minorisation, c’est quand le minorisé ne peut plus dire qu’il l’est sans faire rigoler tout le monde.

 Or, le problème, c’est que dans son échange avec Mme Gaurel, M. Mélenchon n’est pas du tout dans le registre de la blague innocente entre gens-qui-s’aiment-bien-au-fond, ne serait-ce que parce que de toute évidence les deux protagonistes ne s’aiment pas plus que ça (et ça ne risque pas de s’arranger dans un proche avenir). La réalité, c’est que M. Mélenchon est dans un déni de légitimité linguistique choisi spontanément – et c’est bien là le problème – comme moyen tactique d’esquiver une question à laquelle il n’a apparemment pas de réponse argumentée à fournir. Et là, il n’est pas dans le registre du politique, mais dans la soumission aveugle – et dont on peut se demander ce qu’elle révèle de la réalité profonde du personnage – au sens commun ordinaire et à son chapelet de préjugés.

Le préjugé dont il s’agit en l’espèce n’est pas d’ordre ethnique : le « républicain » M. Mélenchon ne considère certes pas que les Méridionaux (il refuserait sans doute avec indignation le désignant « Occitans ») constituent un peuple à part, et la plupart de ceux qui se moquent de l’accent du sud au moins depuis les gasconnades des XVIIe et XVIIIe siècles seraient d’accord avec lui sur ce point. Il ne s’agit pas davantage, contrairement à ce que semblent penser trop facilement certains de ceux qui ont réagi, d’un effet collatéral du tout aussi vieux clivage Paris-Province. Ce dont il est question ici, osons le dire, relève profondément du pur et simple mépris de classe : pour les bien-parlants de ce pays, tout usage linguistique qui ne se conforme pas aux standards de leur propre usage est socialement illégitime, et condamné donc, de facto, à sombrer dans l’inaudible. Cela s’applique aussi bien à l’accent méridional qu’à celui du nord, à l’accent alsacien, et… à l’accent des quartiers populaires de l’est parisien. Socialement illégitime, cela renvoie à la hiérarchie implicite qui sépare, et de fait oppose les bien-parlants, (ce sont aussi, coïncidence, les bien-pourvus), aux gens de peu, crédités d’un capital culturel à la (faible) hauteur de leur capital tout court. Ce qui, politiquement parlant, fait toute la gravité de l’incident Gaurel-Mélenchon, et interdit, je le répète, de le reléguer au statut d’anecdote moyennement plaisante, c’est qu’on y voit le leader insoumis manifester tranquillement (si on ose dire, connaissant l’individu…) le même mépris de classe que n’importe quel bon bourgeois des beaux quartiers, comme par réflexe et  sans même s’en rendre compte faute d’une réflexion sur les questions de langue. Et l’on conviendra que pour quelqu’un qui se prétend le porte-parole des classes populaires, c’est quand même plutôt problématique.

 M. Mélenchon a tenté de faire machine arrière, sur l’incident comme, plus largement, sur la violence des ses propos face aux policiers et au procureur (quoique l’on puisse penser par ailleurs de la façon dont se déroulait leur perquisition). Sur ce dernier point, il entendait se justifier au nom de son « tempérament méditerranéen » (acceptant donc, noblement, de se retrouver mêlé à des gens caractérisés trop souvent par un accent incompréhensible). Or, dans le sens commun français, là encore depuis des siècles et le bon vieux temps de la théorie des climats, ce tempérament est associé à la passion, à la violence, verbale ou non, et, fondamentalement, à la difficulté à adopter en permanence un comportement rationnel.  M. Mélenchon est ordinairement présenté comme un homme de culture, et en particulier de bonne culture politique et historique ; il n’en est que plus étonnant, et attristant, de le voir recourir à un cliché aussi éculé – et porteur, pour le coup, d’une charge de mépris ethnique difficilement niable. Et face à Mme Gaurel ? Il a simplement cru, dit-il, qu’elle se moquait de lui en contrefaisant un accent marseillais –  et pourquoi donc grand Dieu,  alors même que cet accent n’est certes pas le sien ? Là, on n’est pas dans le cliché, mais dans le pur n’importe quoi, pour ne pas dire dans le pur piteux.

Dans les deux cas, ces réponses ne sont pas à la hauteur de ce que l’on peut et doit attendre d’un homme politique de gauche. Si M. Mélenchon n’est pas capable de le comprendre, il faut espérer que ses amis, eux, seront plus lucides, et qu’ils sauront  tirer tous les enseignements politiques qu’il convient de tirer de l’épisode.

Nb. : pour lire quelques réactions :

https://www.sudouest.fr/2018/10/17/jean-luc-melenchon-meprise-une-journaliste-et-se-moque-de-son-accent-du-sud-5488596-710.php

https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/melenchon-se-moque-accent-du-sud-reactions-ne-se-sont-pas-fait-attendre-marseille-1560706.html

https://www.francetvinfo.fr/live/message/5bc/795/2c8/256/bf4/780/bd9/aa1.html?fbclid=IwAR3H3IlLSiWUO7Tw9AVt_hdIJLXWE9z5s3rC5daycR81S4OqK4BpmyOW_3s

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16 réponses à 22-10-18- « L’Affaire Gaurel » / Mélenchon ou : les questions d’accent, c’est grave, et parfois ça devient aigu.

  1. Bouam Lhoussain dit :

    L’année prochaine, les travailleurs peuvent s’attendre à ce que les assauts contre eux se poursuivent, ce qui signifie qu’ils doivent redoubler de détermination pour défendre les droits de tous. L’année qui vient étant une année électorale, les travailleurs peuvent également s’attendre à ce que les partis qui forment le système cartellisé, ainsi que les médias et les entreprises de sondage et ceux qui se disent analystes, haussent le volume de la désinformation pour maintenir les travailleurs à l’écart. Cela a déjà commencé. Le barrage de diversions et de sondages de toutes sortes a déjà commencé. Tous les efforts seront faits pour diviser la classe ouvrière et le peuple en leur disant qui est digne de leur soutien afin de les priver de leurs propres pensées et initiatives. Le temps est venu de développer une politique indépendante pour résister à cette attaque maintenant! Les travailleurs ont besoin de leur propre pensée et leur propre action fondées sur des analyses pour résoudre la crise en leur faveur.

  2. Patric Roux dit :

    Belle analyse du camarade Felip Martel.
    Au-delà du cas précis du citoyen Mélenchon, le fond de la question des langues dites régionales est excellemment posé : mépris de classe, mépris pour les cultures (ainsi que leurs accents) populaires.
    Basta lo mesprès !
    Patric Roux, Conseiller Régional (d’occitanie)

  3. Abbe dit :

    Il y a bien longtemps quand Mélenchon était encore sénateur socialiste, j’avais reçu le verbatim de la séance du sénat au cours de laquelle il était question des langues régionales dans la Constitution. Charasse et lui avaient tenu des propos agressifs et méprisants. J’ai un peu oublié… Charasse avait dit si on met l’auvergnat dans la Constitution il faut mettre aussi la potée auvergnate

  4. Delmas Jacme dit :

    Felicitacions per aquel tèxte.

  5. TRIANON dit :

    D’une façon générale on est précisément dans le » speak white » (voir plus bas ), c’est dire que tous ceux qui se croient ou se veulent non racistes, progressistes, tolérants, ouverts (de gauche) etc se mettent le doigt dans l’oeil. Racisme ce n’est pas seulement le méchant blanc de droite qui déteste le gentil noir.
    Il y a cent variantes. Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Ben là on est « jourdainiste » en plein, raciste sans le savoir…sauf quand on le sait.
    « L’insulte « speak white » est une injonction raciste permettant d’agresser ceux qui appartiennent à un groupe minoritaire et qui parlent une autre langue que l’anglais dans un lieu public. Dans le contexte colonial du Canada et des traites négrières de l’époque, l’injure signifie qu’un esclave ne peut parler sa langue et doit adopter celle de ses maîtres. Au Québec, l’usage de cette insulte a continué jusque dans les années 1960, moment où elle a diminué avec la diminution de l’emprise colonialiste de l’Ordre d’Orange qui a accompagné la Révolution tranquille. » – voir wikipedia –

  6. Fossat dit :

    Merci à Philippe Martel pour son analyse. J’ajouterai simplement que le mépris grossier de JLM pour l’accent « méridional » va de pair avec son hostilité aux langues de France, dites régionales. Un peu fort pour un député de Marseille, et ancien eurodéputé du Sud-Ouest !

  7. Cavaillé dit :

    Merci Philippe pour cette analyse juste et drôle comme toujours…
    voir pour la compléter
    Glottophobie : et vous trouvez ça drôle ?
    http://taban.canalblog.com/archives/2018/10/29/36824187.html

  8. Mercadièr Gilabèrt dit :

    Òsca! tres còps òsca! Felicitacion per aquela analisa plan fina e pertinenta que va dins lo fons de l’afar.
    La cal far coneisser e cal que Melenchon la conega…

  9. Matthey Marinette dit :

    Je ne partage pas entièrement l’interprétation qui est faite par Philippe Martel, que je salue au passage!
    J’ai l’impression qu’au début, Mélenchon imite sympathiquement l’accent de la journaliste (il y a d’ailleurs un journaliste à côté d’elle qui sourit, ce qui montre que l’imitation est reconnue), il n’y a pas d’agressivité. Cela peut s’interpréter comme de la convergence, pour reprendre les termes de la théorie de l’Adaptation communicative de Giles et autres. Mais quand Mélenchon comprend que la journaliste veut l’enfoncer, il devient fou de rage, et c’est là que les choses se gâtent. Alors que tout le monde relie sa remarque « il y a quelqu’un qui peut poser une question en français compréhensible » avec le fait qu’il imite l’accent de la journaliste, je pense que ces deux séquences sont distinctes et qu’il est abusif de faire un lien entre les deux. Au début de l’interaction, Mélenchon converge avec sympathie vers son accent, mais en cours de route il « tacle » la journaliste parce qu’il ne veut pas répondre sur le fond, alors qu’il a très bien compris où elle voulait en venir, même s’il y a énormément d’implicite dans sa question (elle est effectivement posée par bribes, pas avec une question préfabriquée, mais on comprend bien le fond de sa question — la mise en relation du commentaire de Mélenchon sur la perquisition chez Fillon).
    Mélenchon agit en fait de la la même façon que les internautes sur les forums de discussion qui, quand ils sont à court d’arguments, font des remarques du genre « apprenez à écrire en français avant de vous exprimer sur un forum ».
    Est-ce qu’on parlerait de glottophobie dans ce cas? Il me semble que non, c’est juste une stratégie facile et pas sympathique du tout de déconsidérer un interlocuteur.

  10. MASSIP Jean dit :

    Très bien dit merci beaucoup
    Fòrt plan dich un brave mercé

  11. Philippe Carcassés dit :

    A l’heure des rabâchages anti-amalgames tous azimuts (et d’ailleurs justifiés) voilà qu’on en laisse subsister un, gros comme un éléphant dans un corridor: « accent du midi = peu sérieux, non adapté ». Sans susciter de réaction ouitre-mesure.
    C’est lamentable, et ce d’autant plus que ce cliché éculé est repris, dans cet interview, par quelqu’un d’instruit et qui prétend combattre pour la justice sociale. C’est incompréhensible, ou très révélateur au contraire du fond de pensée de Mélenchon.
    Même en tenant compte du fait qu’il est sur la défensive par rapport aux journalistes, sa réaction face à cette dame toulousaine signe pour moi une forme de pensée qui est restée -au mieux- dans les années 30 du siècle passé.
    Réaction archaïque, dépassée, ringarde.
    Le café du commerce, quoi.

  12. Ping : Avec l’accent qui se promène… | Hélène Morsly

  13. MURINGER Daniel dit :

    Très pertinente analyse, merci.

  14. Cabeca MARIE dit :

    Excellente analyse.Toute à fait d accord. Ce n est pas la première fois que M.Melenchon montre son intregigence à l égard des langues régionales.mais en sa réaction vers un accent « marseillais »dit il, démontre bien qu il s agit d une idée de »classe » ceux qui parlent bien le Français et les autres …..

  15. Julien danielle dit :

    Merci à Philippe et au réseau. Je vais faire circuler cette analyse. J’ai bien ressenti cette réaction de Mr Mélenchon comme du mépris, mépris que j’endure depuis des lustres dès que j.ouvre la bouche au nord de la Loire…

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