23-02-20 : Langues des régions, langues d’origine, même combat !

Langues des régions, langues d’origine, même combat !

Lors de sa venue à Mulhouse-Bourzwiller, le 18 février dernier, Emmanuel Macron a annoncé, en marge de son discours sur le « séparatisme » (?) islamiste , la suppression du dispositif ELCO, (Enseignements de langue et de culture d’origine) soit les cours facultatifs en langues étrangères dispensés par des enseignants nommés par les gouvernements d’autres pays.

Ce qu’en dit le Président : « Le problème que nous avons aujourd’hui avec ce dispositif, c’est que nous avons de plus en plus d’enseignants qui ne parlent pas le français (…), que nous avons de plus en plus d’enseignants sur lesquels l’Éducation nationale n’a aucun regard »

(…)

«Je ne suis pas à l’aise à l’idée d’avoir dans l’école de la République des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l’Éducation nationale ne puisse exercer le moindre contrôle. Et nous n’avons pas non plus le contrôle sur les programmes qu’ils enseignent », a-t-il ajouté. «On ne peut pas enseigner des choses qui ne sont manifestement pas compatibles ou avec les lois de la République ou avec l’Histoire telle que nous la voyons». « À partir de la rentrée de septembre 2020, les enseignements en langues et culture d’origine étrangère seront partout supprimés sur le sol de la République ».

On ne s’attardera sur la « vision de l’Histoire » (l’Algérie étant un des pays concernés par le dispositif, on devine comment l’approche des uns et des autres peut effectivement ne pas totalement coïncider sur ce terrain, quand revient régulièrement dans les programmes l’idée que la colonisation a eu des vertus civilisatrices) et l’aveu en creux que cette discipline n’est pas un objet scientifique neutre mais susceptible d’être un lieu de fabrication, voire de falsification, susceptible d’être instrumentalisée et orientée.

Mais surtout, il importe de signaler que la suppression du dispositif ELCO avait déjà été actée en … 2016 par le ministère de Najat Vallaud-Belkacem pour évoluer vers une autre forme.

Les enseignants étrangers sont depuis passés sous le contrôle de l’Éducation nationale, mais seuls trois inspecteurs en ont la charge pour l’ensemble du territoire (80 000 élèves concernés).

Ce que dit Macron est donc inexact, et il masque au passage la responsabilité gouvernementale dans la carence de moyens mis à disposition, nous dit un responsable haut-rhinois de la FSU. Francette Popineau, secrétaire nationale du  SNUipp-FSU, rappelle pour sa part que ces enseignements sont déjà en voie de transformation, devenant des  EILE (Enseignements Internationaux de Langues Étrangères), dont les enseignants sont placés sous la responsabilité des chefs d’établissement et participent aux conseils d’école. Quant à ne pas parler français, c’est une autre affabulation démagogique et tentative de pêche aux voix d’extrême-droite qui ne fait, au bout du compte, que le jeu  de cette dernière : je fais comment, en tant qu’enseignant étranger en France, pour acheter ma baguette, en ne parlant que serbe, croate, portugais, italien, espagnol, arabe ou turc (les langues concernées par l’ELCO) ? Nombre d’étudiants lecteurs dans des lycées ou universités à l’étranger ne maîtrisent pas forcément la langue du pays ; ils l’apprennent sur le tas, ne serait-ce que par nécessité du quotidien.

Si le Président mentionne la transformation des ELCO en EILE – en en usurpant la paternité – s’il reconnaît au détour le bien-fondé de ces enseignements, il n’en conclut pas moins le chapitre par la martiale annonce de la disparition à l’automne 2020 des « enseignements de langues et cultures d’origine étrangère » (le dernier terme est curieusement rajouté au sigle ELCO) et c’est cette mesure qu’on retiendra.  Comment interpréter cette posture soufflant « en même temps » le chaud et le froid  autrement que par un souci de sa part d’apparaître comme pourfendeur de ces langues étrangères qui menaceraient la République et son identité (tiens ! La République serait-elle donc aussi « identitaire » ?) parmi lesquelles y compris des langues de la Communauté européenne ? Le tout, en suggérant subliminalement que telle ou telle langue serait  intrinsèquement véhicule d’idéologie, anti-républicaine et « séparatiste ».

Et que penser de l’appréciation de Jean-Michel Blanque[1] pour qui le dispositif avait du sens quand les travailleurs immigrés et leurs enfants étaient destinés à retourner dans leur pays d’origine (tant il est vrai, comme le montre Gérard Noiriel dans son « Histoire populaire de la France », qu’à maintes reprises, une fois le citron pressé, les immigrés, depuis la fin du XIXè siècle, étaient « invités » plus ou moins gentiment à retourner chez eux (après la guerre de 14, lors de la crise de 29 et à la fin des « 30 pas si glorieuses que ça »). Nous serions, toujours selon Blanquer, aujourd’hui « dans une logique d’intégration » et le dispositif n’aurait plus lieu d’être.

Non, Monsieur le Ministre, intégrer, c’est accepter dans la communauté nationale (derechef, tiens ! Voilà que la communauté prend soudain un sens positif) l’autre tel qu’il est : ce qui est pratiqué et voulu ici, c’est de l’assimilation, qui revient à effacer et à nier l’altérité, et du coup, détruire la capacité de l’arrivant à enrichir le patrimoine collectif de son propre héritage.

En effet, pas un mot dans ces discours sur la légitimité de préservation des patrimoines culturels d’origine en tant que droit attaché à la personne ainsi que d’un bien inaliénable des peuples.

L’annonce de la disparition de ces enseignements de langues étrangères surgit dans un contexte thématique bien précis, à savoir la radicalité politique de l’Islam. Ce point sur l’enseignement des langues étrangères (étrangères à qui ?) lui est donc inévitablement associé.

La concomitance du propos avec celui du « séparatisme »islamique vise à établir un lien aussi grossier qu’ignoble suggérant que l’arabe en tant que langue serait indissociablement liée au djihad comme l’a pu être – et l’est encore pour beaucoup – la langue allemande au nazisme. Des langues à éradiquer à tout prix parce qu’elles porteraient en elles les graines du mal absolu. En la matière, Ernest Renan avait ouvert la voie, lui qui estimait que les langues sémites (soit l’hébreu et l’arabe) étaient incapables d’atteindre des sommets en matière de poésie et de philosophie… considérations inévitablement teintées de racisme.

On s’interrogera sans fin sur les subtils et mystérieux mécanismes qui feraient qu’une langue serait par essence « séparatiste ». Mieux vaut explorer les fondements sur lesquels repose la peur sous-jacente d’un éclatement de l’unité territoriale de l’État français et d’une altération de « l’identité » nationale, davantage fantasmée que réelle. Intervient sans doute aussi le sentiment confus de la fragilité de sa construction, de la nécessité d’avoir eu à produire un récit « national » pour en cimenter la cohésion, quitte à faire de multiples entorses à l’exactitude historique et à envoyer aux oubliettes de nombreuses réalités factuelles. La France serait « une personne », disait Michelet : on ne saurait mieux définir sa mythification nationale dont il a été l’un des artisans (curieux à cet égard que l’on parle de « l’Histoire de France » sans article, comme s’il s’agissait d’un prénom ou d’un patronyme, alors que pour tous les autres pays, il est employé : Histoire de LA Chine, de L’Allemagne, de LA Russie…)

On devine encore l’obsession de la langue unique entendue comme critère absolu de loyauté à la République.

La monolinguomanie, spécificité française et des dictatures fascistes européennes, a son histoire : les zélateurs du dialecte francilien érigé en langue du royaume par François 1er avec l’édit de Villers-Coterêts justifient et applaudissent à la mesure parce qu’elle aurait permis de rapprocher la justice du peuple alors qu’il ne s’agissait que de renforcer le contrôle du pouvoir central [2].

Au nombre des Droits de l’homme, il y a aussi celui de pratiquer, y compris officiellement et en public, sa langue maternelle, quelle qu’elle soit, et par voie de conséquence, celle de la perpétuer et de l’enseigner.

Langues de tous les pays (surtout des petits), unissez-vous !

Surgit ici le parallèle inévitable avec le sort lamentable que la République a réservé aux langues minorées de l’hexagone, qui a piloté, d’abord avec coercition, puis avec hypocrisie, leur éradication. Pour avoir participé à plusieurs expériences en milieu scolaire, au cours de rares fenêtres dans l’école publique de tentatives timorées d’introduire une initiation à l’allemand dialectal alsacien (elsasserditsch), ou encore plus sérieusement dans une école associative (ABCM), j’ai fait régulièrement le constat que les enfants issus de l’immigration, pratiquant à la maison une langue autre que le français, en étaient les meilleurs apprenants, leur bilinguisme de fait leur conférant une souplesse phonétique, mais également conceptuelle, dont les monolingues ne disposent pas. Combien de fois faudra-t-il rappeler le constat psycho-pédagogique que les enfants précocement bilingues, non seulement acquièrent d’autant plus facilement d’autres langues, mais en tirent de plus un épanouissement intellectuel indéniable.

On imagine les cris d’orfraie s’il prenait aux gouvernements de par le monde l’idée de fermer les lycées français et Instituts à l’étranger sous prétexte qu’ils constituent pour les entreprises hexagonales autant de fers de lance visant, sous couvert d’altruisme pan-francophone, à débaucher les élites locales à fin de créer des têtes de pont à l’industrie gallicane ? (« Le souffle des langues » Claude Hagège).

La France, nostalgique du temps où l’absolutisme guerrier de Louis XIV faisait rêver les monarques d’Europe au point de lui emprunter sa langue, et qui fut pour cette raison la langue de la diplomatie pour être détrônée avec la 1ère Guerre mondiale par l’anglais, est le seul État qui consacre un ministère au « rayonnement » de sa langue régnant sans partage en métropole comme autrefois sur son empire colonial, langue que Mélenchon qualifie de « langue de la liberté » – niant en cela que le concept en question puisse être formulé en-dehors d’elle -, ou qui pour Hollande est « la plus belle des langues », introduisant ce faisant une notion esthétique totalement incongrue pour un linguiste sérieux.

Tel sympathisant de gauche parisien s’indigne qu’un père d’origine polonaise habitant en France enseigne le polonais à ses enfants…

Ces manifestations de jacobinisme, introduisant des notions autant insupportables que suspectes de hiérarchie qualitative entre les langues et de supériorité de l’une sur d’autres, ne sont hélas pas le seul apanage de la droite politique ; les repères se brouillent en effet quand le député breton Paul MOLAC (ex-LREM) relate son débat avec Alexis CORBIERE (LFI) pour qui la langue porte un « discours politique » ou qui affirme que les écoles où tous les cours ont lieu en langue régionale véhiculent parfois des « idéologies identitaires anti-républicaines » (« l’Express, 7 janvier 2020) : la parenté avec le discours de Macron à Mulhouse est ici aussi troublante qu’inquiétante.

Faut-il être Breton, Gascon ou Alsacien et avoir subi soi-même une telle spoliation, être devenu linguistiquement étranger dans sa propre région pour comprendre et être solidaire de ceux qui ont été arrachés à leur terre le plus souvent par la misère ou la guerre, et à qui on veut de surcroît arracher la langue  jusqu’à les rendre étrangers à eux-mêmes.

Or, rien de ce qui est humain ne nous est étranger.


[1]Ce système a été conçu à un moment “où l’immigration avait commencé depuis un certain nombre d’années, avec l’idée que les enfants devaient garder le lien avec le pays d’origine pour notamment y revenir. On n’est plus du tout dans cette logique là aujourd’hui ; on est dans une logique d’intégration” Jean-Michel Blanquer sur France Info le 19 février.

[2] http://www.felco-creo.org/15-02-20-la-felco-ecrit-aux-deputes-de-la-france-insoumise/

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