24-10-23 – Une proposition de loi « langues régionales » du groupe GDR

ASSEMBLÉE NATIONALE – CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 – SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 24 octobre 2023.

PROPOSITION DE LOI visant à la protection des langues régionales en incluant leur apprentissage dans le tronc commun des programmes d’enseignement, (Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.), présentée par Mesdames et Messieurs Frédéric MAILLOT, Jean-Victor CASTOR, Steve CHAILLOUX, Emeline K/BIDI, Tematai LE GAYIC, Karine LEBON, Jean-Paul LECOQ, Marcellin NADEAU, Mereana REID-ARBELOT, Messieurs Davy RIMANE, Jean-Marc TELLIER, député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

MESDAMES, MESSIEURS,

« Nou lé pa plis nou lé pa moin » / Nous ne sommes ni plus, ni moins.

Au-delà d’une simple expression créole, c’est ici un vrai cri du cœur qui traduit une demande d’égalité à la fois ancienne et actuelle.

Dès 1999, le gouvernement en fonction recevait le rapport du professeur Bernard CERQUIGLINI, soulignant la réalité de l’existence de plus 75 langues régionales qui traduisent autant de réalités sociolinguistiques sur les territoires métropolitain et ultramarin.

Plus récemment, une étude menée par l’Institut Nationale des Études Démographiques (INED) de 2002 montre que les français vivant en métropole parlant une langue régionale seraient plus de 5 millions auxquels il faut ajouter 2,7 millions de français ultramarins.

Il est donc ici question d’une thématique nationale, qui concerne quasiment huit millions de français, que ceux-ci parlent, entre autres, l’Alsacien, la langue d’Oc, le Basque, le Breton, le Corse ou l’un des divers créoles. Pour autant, ces langues ne sont aujourd’hui que des options dans les programmes scolaires actuels dans les territoires où elles sont parlées.

Notre français, notre langue nationale et républicaine, s’est historiquement construite en puisant à 60 % dans la langue d’Oïl, parlée majoritairement autour de l’actuelle île de France et du nord du Val-de-Loire. Et l’on comprend qu’une langue commune à tous les français soit nécessaire pour faire société et d’emblée il est important de préciser que cette proposition de loi n’a pas pour objectif de dévaloriser le français. Cette proposition de loi a pour seul but de valoriser et protéger la diversité de langues régionales qui, sur les territoires, complète l’utilisation du français.

Cette proposition de loi vise donc à conserver les langues régionales qui restent, encore plus aujourd’hui, des marqueurs d’identité profonds et ainsi, une composante du lien social. Dans les territoires où elle est parlée, la langue régionale est la norme, le quotidien. Elle traduit une réalité sociale et fluctue au gré des générations. Il devient dès lors primordial de l’enseigner, au même titre que l’histoire, afin de comprendre les mécanismes qui ont conduit à sa structure actuelle. En outre, son enseignement formel permettrait de sortir de la stigmatisation qui accompagnent bien trop souvent son usage : le créole, tant il paraît anecdotique devient la langue des moqueries, au profit parfois de la discrimination. L’étude littéraire lui donnerait toute sa légitimité.

Cette proposition de loi sera aussi une reconnaissance par la République française, d’un patrimoine propre à une partie non négligeable de sa population. Enseigner la langue régionale c’est dire à ceux qui la parlent qu’ils sont la diversité dans l’unité de la République. C’est intégrer pleinement à la Nation française les minorités qui se sont construites en périphérie de la langue d’Oïl, fondation historique de notre français commun.

Adopter cette proposition de loi c’est aussi contrer le communautarisme en ne faisant plus de ces langues un tabou, une pratique privée, réservée au huis-clos familial, mais bel et bien un facteur de cohésion sociale, qui s’apprend dès le plus jeune âge et avec fierté à l’école républicaine.

C’est encore lutter contre l’illettrisme et l’analphabétisation en usant des langues régionales comme tremplin vers l’apprentissage du français. Parler une langue familière et quotidienne pour amener l’apprentissage d’une autre langue, comme on se sert du français pour expliquer l’allemand ou l’anglais.

Par ailleurs, l’article 75-1 de la Constitution déclare que les langues régionales font partie du patrimoine de la France, et ce, même si l’article 2 de la même Constitution fait du français l’unique langue de la République. Il revient donc à l’État de veiller à la conservation de son patrimoine et de l’entièreté de celui-ci.

Or, le rapport de l’INED de 2002 montrait déjà une érosion des langues régionales en ce qu’elle était de moins en moins transmise d’une génération à une autre. L’enquête la plus récente réalisée par l’INED nommée « Information et vie quotidienne » de 2011 révèle que « 86 % des personnes interrogées parlent exclusivement le français, alors qu’elles n’étaient que 74 % à le parler dans leur enfance. Parmi les personnes nées ou élevées en métropole, ce chiffre atteint 93 %. » Le constat est clair nos langues régionales dépérissent, déclinent, c’est indéniable mais ce n’est pas une fatalité.

Le linguiste américain Joshua FISHMAN écrivait en 2001 qu’une langue menacée pouvait être sauvée par l’effort individuel des familles accompagné de l’effort continue et conséquent des institutions étatiques. Il convient dès lors que les institutions étatiques prennent leur part et impulse une culture décomplexée de la langue régionale. Cela ne peut se faire qu’avec le relai d’une institution établie et forte qu’est l’Éducation Nationale, en adoptant enseignement des langues régionales dans le tronc commun des programmes scolaires, sur les territoires où elles sont parlées.

En outre, les divers textes internationaux donnent une assise forte aux langues régionales et les états signataires, dont la France, doivent s’enquérir de leurs bonnes applications conformément à l’article 55 de la Constitution. Ainsi, l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques prévoit que :

« Dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue. »

Aussi, la Convention de l’UNESCO sur la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement dispose à l’article 5 :

« c) Qu’il importe de reconnaître aux membres des minorités nationales le droit d’exercer des activités éducatives qui leur soient propres, y compris la gestion d’écoles et, selon la politique de chaque État en matière d’éducation, l’emploi ou l’enseignement de leur propre langue (…) »

Le travail mené par le député Paul MOLAC a conduit à l’adoption le 21 mai 2021de la loi qui généralise l’enseignement des langues régionales comme matière facultative. Cela a été une première étape décisive qui a notamment permis de montrer la cohabitation sereine au sein des écoles d’une langue régionale et d’une langue commune à la République. Il est désormais temps d’aller plus loin.

La présente proposition de loi vise à permettre la protection des langues régionales par leur enseignement imposé dans les territoires où elles sont en usage tout en mettant la France en conformité avec ses engagements internationaux.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 312-10 du Code de l’éducation est désormais ainsi rédigé :

Les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France conformément à l’article 75-1 de la Constitution, leur enseignement est obligatoire dans les régions où elles sont en usage. Cet enseignement obligatoire est dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’État et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage.

Le Conseil supérieur de l’éducation est consulté, conformément aux attributions qui lui sont conférées à l’article L. 231-1, sur les moyens de favoriser l’étude des langues et cultures régionales dans les régions où ces langues sont en usage.

L’enseignement obligatoire de la langue et culture régionale est proposé dans l’une des deux formes suivantes :

1° Un enseignement de la langue et de la culture régionales ;

2° Un enseignement bilingue en langue française et en langue régionale.

Les familles sont informées des différentes offres d’apprentissage des langues et cultures régionales

Article 2

L’article L. 312-11-2 du code de l’éducation est ainsi rédigé :

« Sans préjudice de l’article L. 312-11-1, dans le cadre de conventions entre l’État et les régions, la collectivité de Corse, la Collectivité européenne d’Alsace ou les collectivités territoriales régies par l’article 73 de la Constitution, la langue régionale est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires, des collèges et des lycées sur tout ou partie des territoires concernés, dans le but d’assurer l’enseignement de la langue régionale à tous les élèves. »

Lire dans la presse : https://la1ere.francetvinfo.fr/journee-internationale-du-creole-gabriel-attal-soutient-les-langues-regionales-des-deputes-lui-demandent-d-aller-plus-loin-1438787.html

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