7 mai 2008 – débat langues régionales à l’AN – déclaration Michel Vaxès, député PCF Bouches-du-Rhône

L’ensemble des débats est en ligne à l’adresse  –http://www.assemblee-nationale.fr/13/cra/2007-2008/153.asp

DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT SUR LES LANGUES RÉGIONALES ET DÉBAT SUR CETTE DÉCLARATION

L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement sur les langues régionales et le débat sur cette déclaration.

Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication – En janvier dernier, lors de la révision constitutionnelle qui devait permettre la ratification du traité de Lisbonne, le Gouvernement avait pris l’engagement d’organiser un débat sur les langues régionales de France en réponse à une demande exprimée par nombre d’entre vous. Malgré un ordre du jour particulièrement chargé, cet engagement est aujourd’hui tenu et je m’en félicite.

[…]

M. Michel Vaxès – Que ce débat, trop longtemps repoussé, ait enfin lieu, témoigne du succès de celles et ceux qui, pendant des décennies, ont résisté à une conception réductrice des questions linguistiques. À un modèle social marqué par la domination et la hiérarchisation, ils préfèrent la solidarité, le partage, la tolérance.

Voilà qui témoigne d’une opinion de plus en plus répandue, selon laquelle l’universalité de la culture n’est pas contradictoire avec la diversité de ses sources et la spécificité de ceux dont elle est l’expression. Le refus grandissant de toute hiérarchie normative a renforcé l’exigence d’une création diverse, miroir des savoirs et des expériences de chacun. C’est ainsi que, sans la moindre polémique, la délégation générale à la langue française est devenue, en 2002, la délégation générale à la langue française et aux langues de France.

Le débat sur ces langues, leur reconnaissance et leur place dans la République doit être abordé sereinement. Le plurilinguisme est une expression de la richesse humaine, et notre diversité linguistique est un atout qu’il faut non seulement défendre, mais aussi exploiter dans l’espace privé comme dans l’espace public.

Au-delà d’une nécessaire modification constitutionnelle, il faudra donc donner un statut législatif aux langues de France. À défaut, nous menacerions une part de notre patrimoine culturel. Voilà bien longtemps que les parlementaires communistes réclament une loi, qu’ils ont proposée en 1986 puis en 1988, à l’initiative de M. Hermier. Hélas, l’interprétation que le Conseil constitutionnel a donnée de l’alinéa de la Constitution adopté le 25 juin 1992, interdit l’examen de nos propositions.

Aujourd’hui, nous en sommes donc à débattre encore de certaines questions qui devraient être résolues depuis longtemps : le dynamisme de notre héritage culturel, les évidents bienfaits cognitifs et pédagogiques du bilinguisme, l’utilité de la langue du terroir pour comprendre un milieu local et même la langue française elle-même, l’ouverture qu’offrent nos langues régionales à des espaces culturels voisins, l’indispensable tolérance à adopter face à une telle diversité, et enfin la contradiction qu’il y aurait pour la France à militer en faveur du respect de la diversité culturelle dans le monde tout en la refusant sur son propre territoire. Hélas, au nom de présumés risques identitaires, toute discussion sur la reconnaissance des langues régionales a été rejetée. Ce rejet était pourtant lui-même un repli, qui portait les mêmes risques que celui que l’on cherchait à éviter !

M. Marc Le Fur – Très bien !

M. Michel Vaxès – Le moment est venu de consentir un effort national de reconquête qui permettra de relancer l’essor culturel de la France.

La pluralité linguistique française existe depuis les origines de notre pays, lorsque les rois de France annexèrent des territoires voisins. L’indispensable diffusion d’une langue commune en a imposé l’usage exclusif dans l’espace public, les autres étant confinées à l’espace privé. Cette idée, apparemment logique mais, au fond, biaisée, a servi à justifier le rejet ancien de tout ce qui n’est pas français – un rejet qui est à lier au mépris du parler des gens de peu. Jadis, même ainsi confinées, les langues régionales pouvaient encore être transmises, mais ce n’est plus le cas dans l’Europe d’aujourd’hui. Nos voisins l’ont d’ailleurs bien compris, qui autorisent la présence de langues régionales à l’école ou dans les médias. Quand délaisserons-nous enfin le mythe d’une société monolithique où toute différence est jugée comme une déviance ? Ce mépris séculaire a provoqué le déclin des langues de France et le reniement par les locuteurs concernés d’une partie de leur identité. Pourtant, la cohésion nationale n’en a pas été renforcée : chacun sait que les conflits sociaux sont toujours d’ordre économique ou politique, jamais linguistique.

Quand comprendrons-nous que c’est la solidarité et le respect des autres qui créent la cohésion du corps social ? Quand admettrons-nous qu’il est urgent d’encourager le respect de la diversité des langues et l’échange culturel ? La cohésion nationale repose à la fois sur la coexistence des expressions les plus diverses et sur l’adhésion de tous à un projet collectif – adhésion qui, en retour, suppose l’acceptation par la collectivité nationale de ses héritages linguistiques et culturels les plus variés.

Ainsi, l’école et les médias doivent prendre acte de l’existence des langues de France, afin de leur confier une part d’universalité. À ce titre, la loi Deixonne de 1951, issue d’une proposition de M. Tourné et de deux propositions communistes de 1948 sur le breton et le catalan, fut un progrès incontestable, puisqu’elle reconnaissait la valeur de certaines langues régionales et organisait leur enseignement. Elle était pourtant trop restrictive, puisqu’elle ne concernait que le catalan, l’occitan, le basque et le breton, auxquels ont été justement ajoutés depuis le corse, l’alsacien et les créoles.

Il faut désormais reconnaître toutes ces cultures régionales et fournir un important effort de revitalisation. L’État doit être le garant des langues de France et de leur statut, et l’acteur de cette reconnaissance. Il doit assumer ses responsabilités en direction des médias et des institutions culturelles comme dans le domaine de l’enseignement. À côté de l’État, les autres collectivités territoriales ont leur rôle à jouer dans l’accompagnement de la politique générale concernant les langues de France. Cela implique la mobilisation de ressources financières complémentaires, l’aide à la création, et d’une manière générale, tout ce qui concerne l’expression à l’échelle locale de la spécificité linguistique et culturelle.

Les institutions européennes sont elles aussi concernées. D’abord, parce que certaines langues de France sont aussi transfrontalières ; ensuite, parce que la question des langues régionales se pose maintenant à l’échelle européenne. Au niveau mondial, les recommandations de l’ONU en matière de droits de l’homme et celles de l’UNESCO en matière de préservation de la diversité linguistique et culturelle doivent être prises en compte dans l’élaboration de la loi.

Les parlementaires communistes soutiennent des propositions élaborées avec les associations qui militent pour la reconnaissance de la diversité linguistique et culturelle dans notre patrimoine national.

S’il n’est guère pertinent de revendiquer une parité absolue entre le français et les autres langues, ces dernières doivent avoir une place dans l’espace public qui leur permette d’être visibles et audibles. C’est la condition première de leur pratique. Si l’accès aux langues régionales à l’école doit continuer à relever du libre choix, être « facultatif, optionnel mais de droit », disions nous dans notre proposition de 1988, l’institution a l’obligation de rendre ce choix effectivement possible, par une offre généralisée, partout où l’une de ces langues est pratiquée, partout où une demande significative se manifeste.

Plusieurs députés du groupe UMP – Très bien !

M. Michel Vaxès – Cela implique une information complète et précise de toutes les familles ; une véritable politique de recrutement d’enseignants de la maternelle à l’Université ; le développement des filières bilingues à parité horaire et de l’enseignement par immersion dans l’Éducation nationale comme dans le secteur associatif pour les familles qui le souhaiteraient ; une valorisation au niveau des examens et concours par l’ouverture d’épreuves bénéficiant de coefficients incitatifs ; une vraie place pour les langues régionales dans l’enseignement supérieur et les grands organismes de recherche ; un développement de l’enseignement pour adultes, qui correspond à une demande et peut fournir des compétences professionnellement utiles. Enfin, une information minimale sur l’existence des langues et cultures régionales doit être offerte sur l’ensemble du territoire et intégrée dès le socle commun aux programmes de l’Éducation nationale.

Si certains cahiers des charges de radios ou télévisions publiques prévoient – vous l’avez rappelé Madame la ministre – la prise en compte des cultures régionales, dans la réalité, celles-ci sont souvent cantonnées à la seule dimension folklorique. Les grands réseaux nationaux – et pas seulement France 3 – doivent mettre plus de moyens et d’horaires à la disposition des producteurs d’émissions en langues régionales. La création de chaînes de télévision publiques propres aux diverses langues régionales répondrait à la revendication commune des associations les plus représentatives de chacune de ces langues. Au moment ou les radios associatives émettant en langue régionale risquent de voir leur financement asséché par la fin annoncée de la publicité – dont une partie des recettes leur était destinée – il convient que des financements publics nouveaux leur soient alloués. La création en langue régionale doit être soutenue par une aide accrue du ministère de la culture, en partenariat avec les collectivités locales, afin de favoriser le contact et l’échange entre les créations et les grands lieux d’affichage culturel que sont par exemple les diverses manifestations nationales et régionales. Cette ouverture serait le meilleur moyen de lutter contre la ghettoïsation de ces langues et des cultures dont elles sont porteuses.

La mise en place d’une politique ambitieuse permettant à la nation de reconnaître la diversité de ses pratiques linguistiques doit s’accompagner de la création d’instances de contrôle indépendantes chargées de faire respecter la loi, de suivre l’évolution de sa mise en œuvre et d’évaluer les effets des mesures prises. Ses observations devraient faire l’objet d’un rapport annuel devant la représentation nationale.

La cohésion sociale, garante de l’unité républicaine, suppose que notre République accueille enfin la diversité comme une richesse à partager entre tous. L’année 2008 est « l’année internationales des langues », dit l’Unesco ; profitons-en pour prolonger ce débat par l’élaboration d’une loi sans laquelle nos échanges d’aujourd’hui ne seraient que bavardages stériles. Une loi qui donne enfin aux langues de France leur vraie place dans la nation. Voilà ce que nous réclamons ! Et j’invite ceux qui ne seraient pas encore convaincus à méditer cet extrait d’un discours sur le colonialisme prononcé le 26 février 1986 par Aimé Césaire aux États-Unis : « La négritude a été une révolte contre ce que j’appellerai le réductionnisme européen. Je veux parler de ce système de pensée ou plutôt de l’instinctive tendance d’une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même, pour faire le vide autour d’elle en ramenant abusivement la notion d’universel, chère à Léopold Sédar Senghor, à ses propres dimensions…

M. le Président – Il faut conclure.

M. Michel Vaxès – … autrement dit à penser l’universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories propres. On voit les conséquences que cela entraîne. Couper l’homme de lui-même, couper l’homme de ses racines, couper l’homme de l’univers, couper l’homme de l’humain et l’isoler en définitive dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barbarie ». Je voulais rendre cet ultime hommage à Aimé Césaire (Applaudissements sur presque tous les bancs).

 

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