J.L Mélenchon, les langues régionales, les langues de migrants… et l’espagnol

Une réflexion de René Merle

carte langues de franceLe 11 septembre, le Parlement européen a adopté, à une très large majorité, un rapport sur les langues européennes menacées de disparition, et la diversité linguistique au sein de l’Union européenne.

Il s’agissait en fait de préconiser la ratification et l’application de la Charte des langues européennes.

Alors que les députés du Front de Gauche ont voté pour, Jean-Luc Mélenchon, également élu du Front de Gauche, en son âme et conscience a voté contre ce rapport.

Grand branlebas dans Landerneau (si j’ose dire, car les propos de Jean-Luc Mélenchon sur la langue bretonne – les langues bretonnes, disait-il – , notamment en mai 2008, avaient fait quelques remous dans les cercles bretonnants).

Voilà J.L.Mélenchon aussitôt présenté sur cent sites, blogs et autres tweets comme l’ennemi des langues régionales, cependant que sur autant de sites, blogs, et tweets, il est félicité pour son vote, au nom de l’unité de la République et du salut de la langue nationale…

Je n’ai jamais caché le peu d’empathie que j’ai pour nombre de positions personnelles de J.L.Mélenchon, (cf.: Front de Gauche ?) mais, en ce qui me concerne, je souhaite raison garder à propos de celle-ci.

D’abord en évitant les caricatures ou les mensonges par omission.

Mélenchon n’a jamais dit qu’il était contre les langues régionales ; il est hostile à la signature de la charte, ce qui n’est pas la même chose.

Le mieux d’ailleurs est de se reporter à ce qu’il disait au Sénat lors de sa fameuse intervention à propos des langues régionales, le 13 mai 2008.

Cf. sur son blog [http://www.jean-luc-melenchon.fr/2008/05/21/butor-et-demi/]

Quand J.L.Mélenchon écrivait à propos du dépérissement des langues régionales, « si le nombre de locuteurs diminue et si leur âge moyen s’élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi« , je ne peux qu’être d’accord.

Ces langues ne sont pas directement en perte d’usage à cause de la loi, mais à cause de leur antique péjoration sociologique et de leur exclusion du champ de la survie, de la valorisation et de la promotion sociale.

Rien a priori n’empêche de parler provençal, mais je n’entends pratiquement jamais de provençal autour du moi, hormis le provençal des quelques aficionados, dont je suis. Ce qui n’empêche pas bien de ces aficionados d’imaginer qu’un jour la langue de Mistral retentira à nouveau sur les marchés de Provence, si la fameuse Charte est signée… En tout cas, pour l’heure, question langues minoritaires, c’est plutôt de l’arabe et du berbère que j’entends sur le marché qui fut cher à Gilbert Bécaud, et « l’accent » ne s’y promène plus vraiment, car lui aussi est frappé de la même péjoration qui jadis signa la mort du provençal… Personne n’a interdit l’accent dit méridional, mais en tout cas, ici, il disparaît.

Je donne ci-dessus une carte qui peut impressionner un étranger : « que de langues et de dialectes en France ! Quelle variété ! ».

En effet. Mais il s’agit d’une carte statique, une carte de dialectologues traquant les isoglosses et épinglant les parlers ruraux comme des papillons de collection, une carte qui ne reflète pas la réalité vivante.

Il faudrait, au cas par cas, voir quel parler n’est plus que souvenir, quel parler ne survit que par la publication confidentielle, quel parler n’est plus que celui des anciens et des nostalgiques, quel parler a encore de vrais, jeunes et nombreux locuteurs quotidiens, quel parler bénéficie d’être à cheval sur une frontière au-delà de laquelle il devient langue officielle, etc… Traiter des langues de France en soi, métaphysiquement, n’a aucun sens, si on ne nourrit pas la définition d’analyses concrètes.

Ceci dit, pour qui se désole de voir dépérir ces parlers d’antan, comment relier les efforts pour les maintenir en vie aux dispositions de la Charte européenne ?

Revenons encore sur l’intervention au Sénat de J.L.Mélenchon en 2008 :

 » Mais l’homme qui s’exprime en cet instant, fier d’être jacobin, ne parlant que la langue française pour s’adresser à vous ou bien l’espagnol, langue de ses grands-parents, et qui, s’il devait apprendre une autre langue, choisirait l’arabe, langue minoritaire la plus parlée dans la région d’Île-de-France dont il est l’élu, ne vient pas devant vous pour discuter de la question de savoir si l’on est pour ou contre les langues régionales – ce qui est absurde – ou, pire encore, si l’on est pour ou contre la diversité culturelle : il s’agit de savoir si le cadre légal existant est adapté, car il en existe déjà un, ou si la France a besoin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour faire progresser la diffusion de celles-ci.  »

La question est parfaitement légitime. En ce qui me concerne, j’ai plusieurs fois fait part de mes réflexions en ce sens.

Ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ? ] [ À propos de la Charte européenne des langues minoritaires et régionales, 1999 ] [ Charte européenne des langues minoritaires ] [ Langues régionales (5) – l’occitan et la Charte ]

Je n’y reviens pas, sinon pour dire mon scepticisme devant la Charte, devant ce seul recours à l’affichage officiel et à l’enseignement en « langue régionale », d’autant que ce recours, aussi sympathique qu’il puisse être à beaucoup, ne procède pas, loin de là, d’une exigence populaire majoritaire, comme elle l’est en Catalogne Sud.

Mais le propos n’est pas de faire la fine bouche ou de tout rejeter. Si l’on est attaché aux langues régionales, il faut bien tenter des essais de guérison, même sans s’illusionner sur l’issue de la réanimation. Elle est possible, mais combien difficile…

En ce sens, je considère comme très positive la position nuancée et réaliste du Réseau Langues et Cultures de France, (très lié au Front de Gauche), qui, après s’être étonné que Jean-Luc Mélenchon prenne une position contraire à celle de l’organisation qu’il représente, lui rappelle le texte du Front de Gauche que le candidat Jean-Luc Mélenchon disait avoir assumé :

« Le Front de gauche dans sa volonté de refonder une Europe au service des peuples, intègrera les langues et cultures de France comme moyen d’ouverture sur nos voisin européens en proposant de réviser tant la Constitution que la Charte européenne des langues, pour en permettre la signature« .

Cf. la lettre ouverte à J.L.Mélenchon du Réseau : [http://languesculturefrance.free.fr]

Il s’agit bien d’œuvrer pour la révision de la Charte, et non son acceptation en l’état. Voilà, et j’en suis bien d’accord, l’issue positive à ce débat.

 

Mais, en ce qui concerne J.L.Mélenchon, le problème est que, quoiqu’il s’en défende, il ne semble pas vraiment considérer positivement l’existence et la persistance de ces langues régionales qu’il affirme respecter.

Sinon, pourquoi rappeler souvent, en incidentes assez perfides, la distorsion entre la réalité normée de ces langues et leur variété de terrain ?Ainsi Jean-Luc Mélenchon aime dire qu’il y a en fait cinq langues bretonnes parlées, et que le breton normatif est donc quelque peu artificiel. J’ai souvent entendu la même chanson en ce qui concerne la langue occitane.

Mais ne faut-il pas rappeler au fin sociolinguiste qu’est Jean-Luc Mélenchon, et sans lui faire injure, que le français normé chapeaute lui aussi bien des variétés vivantes et parlées du français (variétés géographiques et variétés sociologiques) ? Parle-t-on exactement le même français à Sarcelles et à Marseille, à Montréal et à Abidjan, à la télé et dans les cités, à l’Académie et « chez les Ch’tis » ?

Sinon encore, dans le propos de J.L.Mélenchon, pourquoi ces allusion subluminales, et parfois bien directes, aux collusions de certains anciens défenseurs des langues régionales, Bretons au premier chef, avec l’occupant nazi ? On frôle là l’ignominie et l’inconscience. Qu’Alibert, le père de la graphie occitane, ait été un collabo et un milicien, ne m’empêche pas de parler occitan, comme le faisait à l’occasion mon père résistant. Et celui qui propose de pareils arguments ne réalise donc t-il pas que Pétain et toute la clique collaborationniste parlaient français ! Faudrait-il pour autant, Jean-Luc Mélenchon, abandonner le français et ne parler que votre cher espagnol, par ailleurs, si l’on vous suit sur ce terrain, langue du Caudillo Franco ?

Car Jean-Luc Mélenchon affiche un curieux bilinguisme : je le cite à nouveau – « Mais l’homme qui s’exprime en cet instant, fier d’être jacobin, ne parlant que la langue française pour s’adresser à vous ou bien l’espagnol, langue de ses grands-parents… »

Formule dont J.L. Mélenchon ne semble pas réaliser que beaucoup peuvent la reprendre à leur compte : ainsi je pourrais affirmer que « je ne parle que le français… et le provençal, langue de mes grands-parents« … (sauf que je ne parle pas que ces deux langues…).

Et je peux donc en réalité personnellement ainsi le propos de Jean-Luc Mélenchon : « je ne suis pas jacobin (au sens où il l’entend : cf. [ À propos du Jacobinisme ] [ À propos du Jacobinisme (suite) ]), je ne parle pas que la langue française car je n’ai rien contre l’anglais (j’y reviendrai), ou l’espagnol, ou le tahitien, etc. etc.) mais j’aime parler italien parce que c’était la langue de ma grand-mère (la même, J.L.Mélenchon, qui m’a apporté le provençal : une petite émigrée italienne parlant la langue du quotidien de sa rue, et de son ménage : le provençal)« .

Je vois d’ailleurs dans la généalogie de J.L.Mélenchon, telle que nous la propose Wikipedia, que de la Sicile au pays valencien, ses ascendants devaient aussi parler des « langues régionales », dont, en ce qui concerne le valencien, un cousin de l’occitan… Mais passons. C’est l’espagnol véhiculaire qui fascine notre ancien ministre : et ce faisant ce pourfendeur affirmé des ethnicistes retombe dans un ethnicisme familial. L’espagnol vit à la fois dans son imaginaire et dans sa réalité (utilisation au Parlement européen, rencontres « officielles » en Amérique du Sud, etc).

 

Voilà pour les langues régionales. Venons en aux langues de migrants, et au premier chef cet arabe dont J.L.Mélenchon nous dit qu’il l’apprendrait s’il avait le temps et l’envie de devenir trilingue.

Je remarque d’abord, et ce n’est pas un reproche, mais un simple constat, que le petit Pied-Noir que fut notre sénateur n’a pas appris l’arabe, sinon quelques mots sans doute, et en cela il se situait, comme la majorité des enfants d’européens du côté dominant de la barrière des langues dans le Magheb colonial. (je dis bien la majorité, ce qui signifie que d’autres pratiquaient l’arabe. J’en ai rencontré quelques-uns).

Mais bon, J.L.Mélenchon, pour apprendre l’arabe, il n’est jamais trop tard…

Quid donc du statut de l’arabe, et, ne l’oublions pas, du berbère, dans notre France qui accueille des millions de Maghrébins ? La visée de la remarque de Mélenchon est parfaitement claire ; en tout cas, je la décrypte ainsi : « ne me bassinez pas avec des langues régionales quasi mortes, alors que les langues de l’émigration sont ici, bien vivantes, mais sans reconnaissance, et sans statut. On ferait mieux de s »occuper de celles-ci »…

Là encore, le constat est pertinent. Mais sur quoi peut-il ouvrir ?

Négliger cette richesse linguistique, cette ouverture possible sur le monde arabe, serait évidemment criminel.

Pour autant, disons-le brutalement, il y a des approches « humanistes » qui sont en fait des pavés de l’ours. Je ne suis pas persuadé que les millions de migrants – que la misère, l’attrait d’une vie meilleure dans la sécurité, la fascination de l’Eldorado français, et récemment la violence civile, ont poussé vers l’Hexagone – aient pour premier objectif de défendre leur langue. Elle ne leur paraît pas menacée, puisqu’ils la parlent entre eux. Dans les rues de Toulon, j’entends chaque jour de l’arabe et du berbère, alors que je n’entends pratiquement jamais de provençal. Mais les jeunes d’origine maghrébine que je croise, ou ceux que j’ai eus comme élèves, parlent français entre eux (et souvent un français qui n’est pas exactement le français normé cher à J.L.Mélenchon). Cela veut-il dire qu’ils renient la langue de leurs parents, ou plutôt, de plus en plus, celle de leurs grands-parents ? J’espère bien que non. En tout cas, par exemple, alors que cette vidéo a fait pousser des cris d’orfraie à l’extrême droite, j’ai eu grand plaisir à entendre notre actuelle Ministre Mme Najat Vallaud Belkacem s’exprimer dans son berbère natal du Rif marocain, en 2009. cf. [http://www.youtube.com/watch?v=5r-ekDHJqTA].

En 2012, à Marseille, devant 120.000 personnes où où les immigrés en question brillaient plutôt par leur absence, J.L.Mélenchon, si j’en atteste ce que j’ai entendu, en a déconcerté beaucoup par son pathos humanisto-anti raciste. Certes, il n’est jamais malséant de rappeler qu’il y a 2600 ans une celto-ligure du secteur a fait choix d’un grec nomadisant comme époux, et que de ce métissage est née Marseille, « la plus française des villes de notre République », dixit J.L.Mélenchon. Et de saluer Arabes et Berbères par qui sont arrivées en Europe la science, les mathématiques et la médecine, alors que l’obscurantisme régnait sur notre Moyen-Âge. Et de proclamer que les peuples du Maghreb sont nos frères et nos sœurs. Et d’affirmer qu’il n’y pas d’avenir en France sans eux. Tout cela pour clore d’un vibrant mais quelque peu contradictoire avec l’ethnicisme arabo-berbère affiché auparavant : « Notre chance c’est le métissage ».

Quelque peu contradictoire et parfaitement creux. Métissage signifie-t-il mariages inter-ethniques ? Métissage signifie-t-il apparition d’une nouvelle culture, arabo-française ? Il faudrait quand même préciser tout cela. D’autant que nos braves racistes et xénophobes de base, partisans de la France aux Français, n’ont rien contre le couscous…

Si ce discours du Candidat a quelque peu éteint l’enthousiasme de l’auditoire, c’est qu’il était plaqué sur une réalité tout autre, celle d’une ville populaire où l’avant-dernière vague d’immigration, l’énorme vague maghrébine, loin de trouver l’Eldorado, a rencontré les ghettos, le communautarisme, la pauvreté et, pour bien de ses enfants, la dérive. Nous sommes loin ici de la défense et promotion de la langue arabe et de la langue berbère, et des antiques et florissantes Andalousies… Nous sommes dans une situation lourde de périls sur laquelle surfe l’extrême-droite.

cf. : [ Marseille ville algérienne ? ]

Mais ainsi va l’idéologie qui croit plier la réalité à ses exigences, et qui par là-même, bien souvent, ignore la réalité…

 

En tout cas, le vote de J.L.Mélenchon, prise de position tout à fait individuelle, a eu le mérite de poser clairement la question de la conformité de la Charte européenne avec les vraies réalités françaises et les vraies aspirations populaires, qui ne sont pas a priori toujours celles des associations de défense des langues (le dernier vote alsacien en témoigne). Un vaste chantier est ouvert, dont les résonances politiques sont évidentes (notamment l’utilisation de ce thème par les partisans de l’éclatement de l’État-Nation au profit d’une Europe des régions).

 

P.S – Je n’aborde pas ici deux questions qui sont en filigrane de la réflexion sur les langues régionales.

– La première est celle du séparatisme éventuel, à laquelle d’ailleurs J.L.Mélenchon fait allusion dans son intervention au Sénat déjà citée. La tentation séparatiste peut affleurer dans certaines zones linguistiques, elle n’est même pas imaginable dans d’autres, sinon dans la tonique dérision (cf. :  http://frontdeliberationduberry.hautetfort.com/presentation_du_mouvement/)

– La seconde est celle de l’avenir d’un bilinguisme officiel, tel par exemple qu’il vient d’être décidé par l’Assemble Territoriale de Corse (cf. le discours du Président Bucchini – parti communiste – sur la coofficialité corse / français, publié sur le site du Réseau Langues et Cultures de France). Cf. : [http://languesculturefrance.free.fr]

Les sociolinguistes sont plutôt enclins à penser qu’à terme le bilinguisme réel est intenable. Assez généralement, une langue chasse l’autre. Le bilinguisme officiel proclamé en Irlande au lendemain de l’indépendance n’a pas empêché la substitution linguistique : l’anglais a continuer à chasser le gaélique. Mais on peut toujours essayer.

Affaire à suivre de près donc.

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1 réponse à J.L Mélenchon, les langues régionales, les langues de migrants… et l’espagnol

  1. J’étais couramment qualifié quand j’habitais Bayonne de « charnegou ». Charnegou est un terme péjoratif utilisé au Pays Basque pour désigner les métis de basque avec autre chose (Gascon,juif, cagot, morisque, etc). Sauf que a force,les charnegous se sont constitué un pays « le pays Charnegue » ou pays de Gramont qui a été un temps une sorte de principauté indépendante du genre de l’Andorre, avec un statut de « sauveté », c’est a dire que les poursuites judiciaires y était impossibles pour le roi de France, si bien q’un des intendants du roi (je ne sais plus lequel) se plaignait que Bidache (la capitale) et le duché (ou principauté) de Gramont fussent un repaire de Brigands de juifs et de bohémiens. Comme M.Lassalle député, je parle donc le français, et les langues « mairanos » : le gascon, l’occitan, le cheso (mélange de navarrais et de béarnais), un peu de basque et l’espagnol (comme M Melanchon (avec ou sans accent tonique)). J’ai constaté que les Espagnols détestent les Basques (qui le leur rendent).Les Basques (espagnols) appelant les fonctionnaires de la Guardia des « arabes » car la plupart viennent du sud. Les « Charnegous » se font un point d’honneur de ne rien vendre aux « Baskoy » etc, donc je vois tout ça avec un peude distance et je me méfie de Mélanchon et des pieds noirs orantes, surtout quand je relie la nouvelle de A. Daudet « A Milana ». Moi aussi j’etais prof de Francais mais de seconde zone (Pegc).
    Cordialement,
    record casenave

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