A la suite de son vote sur le rapport Alfonsi présenté au Parlement européen sur les langues régionales, un vote négatif qu’il partage avec des élus de bords assez différents du sien -FN et UMP, pour l’essentiel, et suite aux réactions que ce vote a provoquées, Jean Luc Mélenchon répond avec sa vivacité coutumière à ce qu’il appelle une « attaque mensongère », émanant entre autres de « quelques amis trop rapides dans leurs analyses », autant dire d’incompétents naïfs : est-il donc si difficile d’accorder aux autres la considération que l’on réclame pour soi-même ? Ceci dit, les réponses qu’il apporte méritent examen, même si elles ne sont pas nouvelles -il signale lui-même qu’elles sont pour l’essentiel reprises d’un discours au Sénat de 2008, au moment où il était question d’intégrer à la Constitution un article concernant les langues régionales. Quelques remarques donc.
– J-L Mélenchon nie toute hostilité aux langues régionales par elles-mêmes. Son plaidoyer se clôt d’ailleurs sur une idée intéressante que l’on ne peut que partager : le vrai débat ne doit-il pas porter « sur les moyens à mettre en oeuvre pour favoriser l’apprentissage des langues, la connaissance, la pratique et la création dans les cultures que l’histoire du pays nous a léguées ». On pourrait noter que du temps où il était élu national (sénateur en l’occurrence) il ne s’était pas signalé par la vigueur de ses interventions sur cette question des moyens. Mais, pourrait-il répondre, pourquoi faudrait-il avoir une telle discussion puisque, à l’en croire, la France offre un « cadre législatif très favorable » à ces langues”. Et il remonte à la loi Deixonne. S’il en connaissait l’histoire, et s’il connaissait les nombreuses et vaines tentatives pour améliorer ce texte, il ne serait pas aussi positif. La réalité est que la place donnée aux langues régionales à l’école et ailleurs n’a été que très lentement et très péniblement acquise, par voie règlementaire et non législative, et que quiconque connaît la question sait bien qu’elle est encore loin d’être satisfaisante. JL Mélenchon signale qu’il y a quatre postes alloués au CAPES d’occitan ; si cela lui semble le chiffre idéal, qu’il en parle donc aux professionnels de l’enseignement de l’occitan, ils lui diront ce qu’est la réalité.
– Plus fondamentalement, l’image qu’il donne de ces langues régionales est assez peu brillante. Voilà le breton, dont la forme canonique est l’oeuvre d’un collabo, ce qui discrédite l’ensemble de ceux qui utilisent cette forme. JL Mélenchon semble ignorer que les enseignants de breton (qui ne sont pas tous d’extrême droite, loin s’en faut ; il y en a même qui votent Front de Gauche…) peuvent parfaitement se référer, à côté de cette forme standard, aux formes de breton réellement pratiquées par les locuteurs natifs. Ce débat entre norme standard et reconnaissance des variantes locales traverse tous les groupes d’enseignants et d’acteurs culturels attachés à la promotion des langues de France, mais il est peu probable que JL Mélenchon ait grand chose à dire dans ce débat, très technique et qui implique la connaissance des langues concernées. Il aurait donc avantage à ne pas s’en mêler. Quant à ses accusation politiques, il semble négliger le fait que si l’on devait tenir compte, pour le français, de tous les éléments douteux qui l’ont utilisé, codifié, et illustré, il y aurait un fameux nombre de pages arrachées dans nos manuels d’histoire comme de littérature. Pétain et Doriot parlaient donc occitan ou breton ? Céline écrivait en basque ? Le recours au point Godwin ne peut servir d’argument dans un débat sérieux.
– Sur la Charte : il convient d’abord de tenir compte du fait que tous les acteurs des revendications culturelles en faveur des langues de France n’y accordent pas la même importance ; un certain nombre n’y voient qu’un gadget, puisque l’essentiel des dispositions acceptées en son temps par la France correspondent à ce qui se fait déjà. ET du point de vue proprement politique, il est trop facile d’en faire le résultat d’un sombre complot de fascistoïdes allemands ayant réussi à circonvenir d’abord le Conseil de l’Europe, puis, vingt ans plus tard quand même, les parlementaires européens. Encore des gens qui font des analyses trop rapides ? Il est beaucoup plus raisonnable de considérer que le Parlement européen a souhaité adopter une position symbolique de soutien à la diversité linguistique du continent, contre un monolinguisme anglais dont JL Mélenchon décrit bien les ravages, tout cela afin de donner un petit contenu humaniste à une politique européenne dont les soucis ordinaires tournent essentiellement autour du besoin de démanteler des services publics qui font obstacles à la “concurrence libre et non faussée” du renard libre dans le poulailler libre”. Il n’y a rien à gagner à agiter des épouvantails qui n’en sont pas pour mieux dissimuler un rejet de toute promotion de langues perçues comme sans intérêt. JL Mélenchon évoque avec émotion l’espagnol de ses grands parents. Admettons. Il évoque aussi l’arabe, en laissant de côté que comme le souligne René Merle dans une analyse remarquable des déclarations de l‘élu du Parti de Gauche, on aurait pu imaginer qu’étant né au Maghreb, il aurait pu avoir un contact direct avec la langue des indigènes, si cela n’avait pas été si peu courant dans la population “européenne” de nos anciennes colonies. Un certain nombre de militants des langues régionales ont des contacts, et de longue date, avec des militants du berbère, du yiddisch, de l’arménien, ou avec des enseignants d’arabe attentifs à faire une place à l’arabe tel qu’il est réellement pratiqué dans les familles immigrées : ceux-là n’ont donc pas besoin que JL Mélenchon vienne leur faire la leçon sur ce point.
– On s’étonne enfin de la dimension quasi mystique, déconnectée de toute réalité historique et sociale, que JL Mélenchon attribue à la langue française et à une certaine vision de la République, assez peu différente au fond de celle qu’on trouvait dans les discours de fin de Congrès radicaux socialistes d’il y a un siècle. On s’étonne de lui voir évoquer, une fois de plus, l’Ordonnance de Villers-Cotterêts comme s’il s’agissait d’un texte républicain fondateur, et comme s’il pouvait ignorer que cette ordonnance, étape importante de la construction de l’absolutisme monarchique, inclut aussi une disposition anti-“coalitions” autant dire syndicats. Il est vrai qu’il lui est arrivé d’affirmer audacieusement que la motivation de ce texte était de permettre à tous les Français l’accès direct au langage juridique… On a également du mal à comprendre le sens exact de sa formule : “il n’y a pas de peuple minoritaire en France, il ne peut pas y en avoir”. C’est le discours récurrent des gouvernements français, droite et gauche confondues, depuis des décennies, à chaque fois qu’il s’est agi de signer des conventions internationales où la question des minorités était évoquée. Comment JL Mélenchon peut-il ne pas voir la dimension proprement théologique de l’argument ? Il n’y a pas de minorités parce qu’il ne peut pas y en avoir, de la même façon qu’il n’y a pas d’autre Dieu que Dieu. Circulez il n’y a rien à voir. Le refus de tout communautarisme amène ici notre homme à mélanger ce qui est de l’ordre du constat concret –il y a bel et bien des langues différentes, parlées par des gens, qui ont le droit au respect, et ce qui serait de l’ordre de la demande d’un statut à part dans la société française, ayant ses propres lois. S’imagine t-il vraiment qu’il y aurait des foules d’Occitans ou de Bretons, dans la situation sociolinguistique qui est celle de leurs langues, pour réclamer d’être jugés dans cette langue, ou de signer leurs contrats de travail en Breton par exemple ? Même les hommes d’affaire “Bretons” qui aiment jouer avec des gadgets de communicants comme l’idée de la “Breizh touch” n’auraient pas l’idée saugrenue d’utiliser dans ce genre de registre une langue que la plupart d’entre eux ne pratiquent d’ailleurs pas.
Oui, on a du mal à comprendre la violence des réactions de JL Mélenchon à chaque fois que la question des langues régionales émerge dans le débat public. Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans la conjonction de son vote avec celui de gens assez peu républicains de leur naturel, et totalement étrangers aux valeurs qui sont celles des électeurs du Front de gauche. Soyons clair: nul observateur averti et de bonne foi ne saurait confondre les motivations du vote de JL Mélenchon avec les motivations du vote de Marine Le Pen ou de M. Hortefeux, l’Auvergnat bien connu, et ce même si l’un comme l’autre peuvent se réclamer d’une vision de la “laïcité” ou de l’anti-communautarisme dont on sait bien qu’ils la puisent à d’autres sources que les positions de JL Mélenchon. Il n’en demeure pas moins que pour un observateur non averti ou de mauvaise foi, la conjonction des votes négatifs des uns et des autres pose problème, et risque de nourrir encore un peu plus le cliché du sens commun bourgeois pour lequel, n’est-ce pas, ”les extrêmes se touchent”. Ceux-là se soucient peu des arguments que l’on vient de discuter ici. Ils ne voient que le fait brut. De ce point de vue, on a quand même le droit de considérer que le vote de JL Mélenchon constitue une imprudence tactique, basée sur une analyse trop rapide des tenants et aboutissants du débat en cours.
Philippe Martel, 1er octobre 2012