http://www.ladepeche.fr/article/2014/05/17/1882974-toulouse-melangeons-toutes-les-langues.html
Ce dimanche, sur la place du Capitole, à Toulouse se tiendra le 22e «Forum» des langues. Son but ? Donner la parole à tous les idiomes, les dialectes, les parlers, les patois… sans oublier les langues officielles. Et rendez-vous aussi avec un grand amoureux du français : Alain Rey.
Agni, allemand, laymara, mapuche, quechua, shipiboconibo, amharique, anglais, arabe, araméen, arménien, assyrien, bambara, bangla, basaa, basque, bengali, berbère tamazight, bété, bulgare, catalan, japonais, kalenbou, khmer, kinyarwanda, kurdes, lao, luganda, malinke, mongol, népalais, occitan, ourdou, perse, polonais, sara, sarh, serbo-croate, sonta, soureth, sousou, suédois, swahili, tagalog, tamoul… et bien d’autres, ouf !
On voyage, avec le forom des langues de monde ! On sillonne la planète, on en devine les traditions, les parfums, les cuisines, mais aussi l’histoire, les combats, les livres…
Des débats, des rencontres, des animations, et surtout une réflexion sur la place des langues, tel est l’ambition du forom des langues, qui se tient à Toulouse désormais depuis une vingtaine d’années. Une manifestation reconnue par tous et en premier lieu par la ministre de la Culture et de la communication : «Le Forom s’est forgé une notoriété qui le voit essaimer partout en France et en Europe et jusqu’à Madagascar», remarque Aurélie Filippetti.
Inspiré par l’écrivain Félix Castan, ordonnancé par le «Fabulous Trobador» Claude Sicre, et organisé par le Carrefour Culturel Arnaud Bernard, ce forom n’est pas seulement là, en pays d’oc, pour rappeler l’indispensable beauté de l’occitan, en plein renouveau. Il est aussi une manière de démontrer que chaque langue est un trésor, que toutes les langues, dans l’absolu, se valent, et que chacune mérite d’être défendue, envers et contre le «globish», ce «global english» qui veut gober toutes les autres.
Plusieurs rendez-vous sont programmés dans l’après-midi, dont un avec Alain Rey. Le défenseur du français nous dira si sa langue chérie est menacée. Interviendront ensuite Christiane Marchello-Nizia et Francine Viera.
Et pendant ce temps, de nombreuses animations sont proposées : jeux sur les alphabets écritures du monde pour les petits et les grands, mahjong, jeux traditionnels mexicains, danses de mariage des Comores, danses traditionnelles de tous les pays, chorale d’enfants, poèmes, calligraphies arabe, mongole, araméenne, persane, coréenne, japonaise… On pourra bien sûr s’initier à quelques langues, histoire de se dire que l’on connaît trois mots de haoussa ou de wolof ! Évidemment, il sera question tout au long de cette journée, de manière indirecte de ce que les défenseurs des langues régionales réclament depuis longtemps à savoir, la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales, qui fait encore débat dans notre Hexagone jacobin. Qu’on se le dise… dans toutes les langues !
Aurelie Filippetti : «les langues régionales pour liberer la parole»
Ministre de la Culture et de la communication, Aurélie Filippetti précise la place des langues régionales dans la culture française : «Valoriser les langues régionales, c’est libérer la parole, et démultiplier les messages de notre pays dans tous les champs de la culture. Opposer le français et les langues de France est une démarche obsolète : la France est riche de sa diversité et de son patrimoine linguistique au contraire, l’un des plus riches d’Europe. Depuis toujours, les langues régionales ont nourri le français, qui en a tiré une bonne part de son dynamisme. Offrir à tous les jeunes Français une initiation à la pluralité des langues m’apparaît comme une nécessité élémentaire d’éducation».
Alain Rey, Linguiste, rédacteur en chef des éditions Le Robert
«Toutes les langues sont en danger»
Pourquoi avez-vous décidé, vous qui êtes surtout connu comme défenseur de la langue française, de participer à ce «forom» de toutes les langues ?
Aucune langue ne vit dans un bocal. Elles sont toutes tributaires de leur origine (le latin pour le français comme pour l’occitan, le catalan, le portugais, etc – on oublie souvent le gascon, le béarnais, le galicien -gallego…) et aussi de leur voisines, des langues au service des «grandes puissances» internationales, des langues parlées autrefois et qu’on croit avoir abandonnées (les mots gaulois du français), des dialectes, patois et langues en contact (pour le français, les «langues de France», avec des langues germaniques, alsacien, francique de Moselle, flamand à Dunkerque, et tous les patois «gallo-rormains», plus les langues qui fournissent des emprunts et des expressions : aujourd’hui l’anglo-américain, au XVI° siècle l’italien, ensuite l’ espagnol, puis l »anglais britanniques, l’allemand, le néerlandais, et encore l’arabe, le berbère, le japonais, le chinois… C’est sans fin. Ce qui est vrai du français l’est de toute langue pourtant chacune est unique et mérite d »être défendue bec et ongles !
Que pensez-vous de l’existence du forum des langues, du message qu’il transmet ?
Le forum est essentiel. Il est bon qu’il se tienne en terre bilingue, et qu’il soit ouvert à tous les idiomes de la planète, alors qu’il meurt chaque année des dizaines de langues. Dès leurs débuts, les Fabulous Trobadors nous ont donné des leçons d’ouverture et de connivence, d’abord entre occitan et français. Le message est exactement celui que je défends, par exemple en Afrique, où, pour maintenir et développer l’usage du français, il sera indispensable de promouvoir les langues africaines, dans une pratique au moins trilingue : langue du village ou du quartier, maternelle, langue véhiculaire africaine ; et, à partir de là, le français, le portugais, l’anglais pourront jouer leur rôle.
Pour le français que vous chérissez tant, le croyez-vous en danger ?
Toutes les langues sont en danger. Le français fait partie des quelques-unes qui ont eu le plus de chance, historiquement. Le fait que l’anglais, tende à jouer le rôle international qu’a eu le latin pendant quinze siècles ne signifie pas que toutes les autres langues (des milliers) doivent se coucher. Il faut valoriser, défendre, faire renaître si les locuteurs le veulent, non seulement les langues dites «régionales», mais tous les dialectes qui font partie des identités culturelles. Le bi-, le tri-linguisme, etc, est toujours un mieux. Et n’oublions pas les langues familiales d’immigration, celles des Roms, des Arméniens, des Maghrébins, après d’autres, Et je veux bien qu’on écrive FOROM, malgré mon respect amoureux pour le latin… Conclusion d’un amoureux de la langue française ; plus et mieux elle sera entourée par les langues du monde, mieux elle se portera, tant en France que dans tous pays, «francophones» officiellement ou pas. On lit, on écrit, on parle le français sur toute la planète. Recueilli par D. D.